Dimanche 11 Avril 2010

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Raid Haute Maurienne du 10 au 15 Avril 2010

      Dénivelé : 1300m      Très Bon Skieur Alpin


Eric Sibert et Jacky Estublier


Début du Glacier du Vallonnet Sur le Glacier du Vallonnet Couloir Est de l'Ouille du Midi (Quotation 3.3+++) Montée au Col de la Disgrace Descente de la Pointe Francesetti

Samedi 10 Avril :

Le rendez-vous est fixé à 19 heures au refuge CAF de Bonneval. La route est longue : 2 h 30 depuis Grenoble, aussi avons-nous trouvé préférable de bivouaquer sur place. L'équipe fait connaissance : plusieurs ne se sont encore jamais rencontrés.
Le refuge se situe dans la partie haute de Bonneval, face à la Pizzeria La Benna. Il a 16 places. Il n'est pas gardé mais il est confortable. La cuisine est bien équipée : plan de travail, plaque de cuisson, frigo, évier avec eau chaude, batterie de cuisine complète. Le prix de la nuitée est de 14 €. (10 € pour les cafistes)
Le repas est pris en commun. Chacun a apporté quelque chose à partager : salade du jardin avec sauce préparée d'avance, pâtes avec fromage râpé et lardons, pizzas commandées à la pizzeria d'en face, petits gâteaux au chocolat fait maison ; tout ça arrosé d'une Mondeuse de Savoie.

Dimanche 11 Avril :

De Bonneval au Refuge des Évettes en passant par l'Ouille du Midi (3042 m)

7 h 15 : départ de l'embranchement de la petite route qui monte à l'Écot, alt 1800 m. Nous chaussons immédiatement les skis pour suivre une piste de ski de fond. L'air est vif (-5°C environ), il fait beau, bien que quelques voiles nuageux accrochent les plus hauts sommets. Nous remontons ensuite la piste du télésiège du Vallonnet. Elle est raide ; la neige dure oblige certains à sortir les couteaux. 200 m plus haut, nous sommes bien échauffés. Tout le monde tient le rythme ; le niveau physique des participants est assez homogène. Bon présage, car notre raid ne sera pas dénué de difficultés. Les sacs tirent sur les épaules avec des charges qui s'échelonnent de 12 à 14 kg.

Nous enchaînons avec la piste du téléski du Moulinet. À son extrémité, nous lâchons enfin la civilisation. Nous poursuivons au flanc d'un vaste vallon et ne tardons pas à atteindre la langue glaciaire du Glacier du Vallonnet. Il descend étonnamment bas : 2350 m d'altitude. Nous enfilons les baudriers ; nous ne les quitterons plus de tout le reste du périple.
À la base du Col du Greffier, nous lâchons le glacier par la gauche, plein Nord. La moraine latérale forme un ressaut raide: 100 m à 35° Elle livre accès à un vaste plateau mamelonné. Nous sortons de l'ombre mais une brise glaciale escamote la tiédeur du soleil. Une longue traversée ascendante mène au pied de la face de l'Ouille du Midi. Par l'épaulement Ouest, on contourne l'obstacle et le sommet se laisse approcher sans difficultés.
Bernard et Jean-Michel préfèrent braver l'Ouille en l'affrontant de face, « drè dans le pentu ». C'est sans compter avec la neige que le soleil n'a toujours pas ramollie. La pente se raidit ; elle oblige à multiplier des conversions. Nos deux compères tirent la langue à l'arrivée.
Arrivée au sommet 3042 m : 11 h 30 – temps de montée : 4 h 15
Éric a programmé la descente par la face Est. Elle donne directement sur le refuge des Évettes, bien visible 500 m en contrebas. Le topo indique un niveau de ski de 3.3 et une exposition de 3. Deux skieurs sont descendus la veille. Leurs traces balisent les passages.
Vu du haut, la raideur est dissuasive : une pente à 40°/45° qui déverse sur une barre rocheuse de 80 m. Il faut donc assez rapidement dégager en traversée. Ensuite, il y a encore 100 m à 40° mais un petit plateau de réception à l'arrivée permet de calmer ses angoisses. Plus bas, la suite est entrecoupée de petites barres mais semble plus tranquille.
On envisage une autre option de descente : revenir en arrière, opérer une traversée Ouest puis plein Nord, par-dessus l'Ouille Mouta vers 2675 m. Le vent charrie les premiers bancs de brume, les sommets se couvrent, il neigeote. Il faut bouger !
12 h 30 : Marc se lance en reconnaissance dans la face Est. Si c'est bon, ceux qui se sentent le suivront. Les autres emprunteront l'option n° 2. Plusieurs ont déjà fait leur choix… Mauvaise surprise : la neige est infâme : croûtée en surface, lourde et mal transformée au dessous. Dans un premier temps, impossible de déraper; il faut descendre en escaliers. Dans un 2ème temps…le dérapage reste très laborieux. Marc poursuit seul et rejoint le refuge des Évettes à 13 h 10.
Les autres prennent l'option de contournement par le Nord. En prenant au maximum à flanc, ils aboutissent pratiquement au col des Évettes et ne doivent remettre les peaux que pour la remontée finale au refuge qu'ils atteignent à 14 h 20. Ils ont fini sous la neige et avec jour-blanc. Il n'y a que deux autres randonneurs au refuge.

Temps global : 5 h 55, respect. 7 h 05
Dénivelé positif : 1250 m respect.1350 m

Lundi 12 Avril :


Du Refuge des Évettes à la Pointe Francesetti (3425 m) en aller-retour


Départ du Refuge des Évettes, alt : 2590 m : 7 h 30. Il fait -10°C, les sommets sont dégagés, le ciel est laiteux. 10 cm de poudreuse sont tombés dans la nuit. Les montagnes sont replâtrées à neuf, on baigne dans le blanc jusqu'à l'overdose.
Le refuge est situé sur un promontoire qui domine de 90 m le Plan des Évettes. Toutes les courses commencent par une descente. La randonnée se poursuit par une longue traversée pousse-bâtons. Au bout d'un kilomètre, on lâche le plan des Évettes pour bifurquer à gauche. Il faut remonter un large vallon qui longe le flanc de la Pointe de Bonneval. Marc et Bernard se relayent à la trace car l'épaisseur de neige fraîche s'accroît régulièrement : 20 cm puis 30. Jacky fait équipe avec Chantal qui culpabilise en imaginant qu'elle retarde le groupe. Pourtant, chaque fois que les deux traceurs se retournent, elle ne tarde pas à apparaître derrière la bosse la plus proche.
La pente du vallon est régulière, lisse et immaculée. C'est un plaisir d'y inscrire de beaux zigzags tirés au cordeau. Le vallon se resserre à proximité du col de la Disgrâce. On rejoint le col, une échancrure de crête béante sur l'Italie, cote 3225 m.

Chantal et Jacky s'arrêtent là tandis que les autres poursuivent dans une pente Nord pas évidente. La crasse s'installe et la visibilité chute. L'épaisseur de poudreuse atteint maintenant 40 cm, il y a des rochers et la pente et forte. Bernard solutionne le problème en montant tout droit, en tirant des zigzags courts et en serrant au plus près la zone rocheuse. C'est laborieux et physique mais on reste en zone de sécurité. Plus haut, la pente se couche et nous pouvons enfin rejoindre le flanc Ouest. Le passage clé de la course est franchi. Il reste 500 m de champ de neige tranquille sur lequel nous nous relayons à la trace. Nous atteignons le sommet 3425 m à 11 h 10. Temps de montée : 3 h 40
Tout est bouché, il va falloir coller à la trace de montée pour la descente. Miraculeusement, le ciel s'illumine quelques secondes avant le départ. Les nuages se déchirent et le paysage nous explose à la figure. C'est un régal à la descente même si l'épaisseur de la neige freine un peu nos ardeurs. Après une pause casse croûte au soleil sur un rocher, nous rejoignons le refuge vers 13 h 30.
Temps global : 6 h 00 Dénivelé positif : 1030 m.
14 h 00 : Chantal redescend sur Bonneval, elle doit reprendre le travail demain. Jacky l'accompagne un bout de chemin puis remonte en peaux de phoque. Il récupère le dénivelé qui lui manquait du matin.
Mardi 13 Avril :
Du Refuge des Évettes au Refuge Gastaldi en passant par la Petite Muraille d'Italie (3400 m)
Lever : 6 h 00. Dehors, il neige, pas de visibilité et le thermomètre affiche -9°C. Nous prenons notre temps au petit déjeuner, espérant secrètement que le groupe de Suisses alémaniques qui s'est levé à 5 h 30 se décide à partir et fasse la trace. Peine perdue. Eux aussi tournent en rond, s'agglutinent autour du poêle. Comptent-ils sur nous ? Nous interceptons leur conversation et finissons par comprendre qu'ils renoncent.
7 h 10 : nous sommes au pied du mur ; il faut y aller. Jacky se coltine la trace sur toute la longueur du Plan des Évettes. Il y a déjà entre 20 et 30 cm de fraîche. On n'y voit goutte, il neige sans interruption. Il faut faire appel à la boussole, à la carte et au GPS pour deviner quel couloir nous montera sur le plateau inférieur du glacier. Dans le ressaut d'accès, l'épaisseur atteint maintenant 40 cm et nous nous relayons pour tracer.
Sur le plateau à 2900 m, deux jeunes nous rattrapent, profitant de la tranchée que nous avons creusée. L'un des deux est guide. Ils prennent le relais sur toute la traversée du plateau puis font une pause. Nous franchissons le ressaut suivant. Les deux jeunes nous rejoignent et reprennent le flambeau. Ils le conserveront jusqu'au bout, à notre grand soulagement. Ils ont une sacrée santé car l'épaisseur atteint 60 cm dans la partie haute.
Le soleil fait de timides apparitions, nous bénéficions d'une heure d'accalmie. La traversée finale pour atteindre la Muraille d'Italie mesure 500 m. La première partie est fort raide, chargée à bloc et elle domine une formidable barre de séracs. Notre tandem de choc va t’il l'entreprendre ? Cent mètres en contrebas, nous les regardons se concerter. Ils ne semblent pas beaucoup hésiter. Le premier se lance, traînant la corde derrière lui. Il creuse son sillon, s'arrête de temps à autre,. Ça passe. Son compagnon le rejoint sans anicroche. La voie est ouverte ; il n'y a plus qu'à suivre. Un par un, nous franchissons le passage à notre tour mais nous ne sommes pas rassurés.
11 h 30 : C'est dans une purée de pois épaisse que nous atteignons la Petite Muraille d'Italie à 3400 m. Il faut choisir entre continuer ou retourner sur nos pas.
Dans les passages raides que nous venons de franchir, le risque d'avalanche élevé (pourtant niveau 2 sur le bulletin météo), et l'absence totale de visibilité sur un gros glacier n'incitent pas à faire demi-tour. Côté Italie, pas de glacier, et des pentes débonnaires, si l'on en croit les courbes de niveau. Il vaut mieux poursuivre.
Mauvaise surprise : côté Italie, la neige est encore plus abondante. Nous glissons lentement, de la neige jusqu’au ventre, dans près d’un mètre de poudreuse. Qu'en sera-t-il lorsque la pente sera moins forte ?
Sous le contrôle du GPS et de la boussole, nous poursuivons notre descente. Le soleil fait soudain une apparition fracassante, les nuages se dissolvent. En un clin d'œil, le beau temps s'installe. C'est un soleil d'Avril qui chauffe fort et fait botte affreusement la neige. Ajouter à cela qu'à partir de 3000 m d'altitude, le vallon devient presque plat. Il faut se relayer à la trace dans la descente : un comble ! C'est presque aussi épuisant qu'à la montée. Et le vallon n'en finit pas.
Vers 2600 m, le passage vers le refuge est une écharpe qui surmonte une petite barre. L'épaisseur de la neige nous en interdit l'accès. Nous faisons alors l'unique pause casse-croûte de la journée, réduite à un quart d'heure. C'est alors que nous repérons à 500 m un poteau de l'ancien télébenne qui alimentait autrefois le refuge. Les courbes de niveau de la carte indiquent qu'un passage plus sûr existe à ce niveau. Il faut descendre encore, traverser une vaste combe avalancheuse avec le soleil qui cogne fort et alourdit la neige.
Nous regardons vers l'aval, le fond de la vallée. On aperçoit une route enneigée, quelques maisons. Jacky commence à envisager une retraite vers le bas. L'étude de la carte l'en dissuade vite. Les passages qui plongent dans la gorge en contrebas sont escarpés. La neige sera encore plus lourde.
14h30 : nous repeautons. Il reste 250 m de dénivelé à remonter. L'épaisseur de la neige atteint un mètre par endroit et les troupes ne sont plus très fraîches. Il va falloir se battre si on ne veut pas construire l'igloo ce soir. Tous les 40 mètres, nous nous relayons. C'est harassant. Dans les zones d'accumulation, la tranchée à creuser arrive parfois au niveau de la ceinture ; il faut forcer le passage. L'ascension s'achève sur un ressaut de 30 m de dénivelé avec une sortie à 40° sur 2 mètres. Heureusement, l'endroit a purgé naturellement. En restant sur le plan de glissement, on n'enfonce que de 20 cm. Une aubaine, moyennant une conversion tous les 3 mètres. C'est aussi l'occasion d'apprendre les conversions aval.
À 16 h 20, nous atteignons enfin le col à 2720 m. Le refuge est tout proche, 60 m en contrebas mais il faut encore se relayer à la descente pour le rejoindre. Nous ôtons les skis à 16 h 30. C'est le terme d'une étape hors norme comme aucun d'entre nous n'en a déjà connue avec des vitesses de descente de 500 m/h et de montée sur le dernier ressaut de 100 m/h.

Temps global : 9 h 20 - Dénivelé positif : 1200 m.

Nous avons le refuge pour nous tout seuls. Depuis l'installation du gardien, il y a 4 jours, nous sommes les premiers à débarquer, et pour cause ! Le lieu est rendu quasiment inaccessible avec de telles chutes de neige. Il téléphone au Refuge des Évettes pour prévenir de notre arrivée.

Mercredi 14 Avril :

Du refuge Gastaldi au Refuge d'Avérole en passant par le Col d'Arnès (3012 m) et la Pointe Marie (3366 m)

Petit déjeuner : 6 h 30. Départ du Refuge Gastaldi 2658 m : 7 h 30 Température extérieure : -9°C. Le temps est somptueux, le ciel d'un bleu profond. La muraille de la Bessanèse se dore déjà dans la lumière du soleil levant.
Avec l'épaisseur de neige, il est impossible d'emprunter l'itinéraire normal. Il passe au flanc de barres rocheuses qui ne sont toujours pas purgées. Il faut donc descendre de 120 m de dénivelé jusqu'à un plateau et utiliser un cheminement plus à l'écart.
Avec l'ensoleillement de la veille, le flanc Sud s'est croûté. On enfonce un peu moins mais on enfourne et les skis s'emprisonnent dans des trajectoires inflexibles. Au point bas vers 2550 m, nous collons les peaux et le travail de traçage reprend. Dans le versant Nord, la neige n'a pas bougé, elle est toujours aussi profonde. Nous nous relayons tous les quarante mètres. C'est un travail de grignotage. Nous dépassons un épaulement puis suivons le creux d'un vallon. Nous parvenons laborieusement à la base de la pente terminale.
Heureuse surprise ! Là haut, au col, des fourmis s'agitent : un groupe nous regarde monter. Nous en déduisons que côté France, la trace est faite. Qui plus est, faite de la veille, car depuis Avérole, il y a 850 m de dénivelé. Sauf s'ils sont partis à 5 h du matin, ces randonneurs ne pourraient pas être déjà là. Il y aura donc aussi des traces de descente. Que du bonheur ! On pourra se caler dedans pour la descente…. La remontée sous le col d'Arnès n'est pas trop raide : une pente à 30° avec un courte sortie à 35°. Nous débouchons à 10 h 30. (alt 3012 m) Ces 450 m de remontée auront nécessité 2 h 30 d'effort. Nous cassons une petite graine à l'abris du vent.
Versant français, nous découvrons une bonne grosse trace, un chenal bien profond, de la belle ouvrage…En amont, une équipe de quatre ouvre la route vers la Pointe Marie . Il n'y a qu'à se glisser dans leurs rails. Le grand luxe. Nous les rejoignons juste avant le sommet. Il est midi. Un hélicoptère nous survole : celui des techniciens chargés de réparer le radio-téléphone défectueux du Refuge Gastaldi. Ils en profitent pour se faire une ballade panoramique.
Tout en bas, nous apercevons un petit point sombre sur la trace de montée. C'est Bernard ; il a préféré nous attendre au soleil, à proximité du Col d'Arnès.
La descente est de toute beauté dans les grandes pentes Sud Ouest. Nous constatons que côté France, l'épaisseur de neige fraîche est beaucoup plus faible. C'est skiable sans problème et nous fignolons nos virages… Nous rejoignons le refuge d'Avérole à 14 h.

Temps global : 6 h 30 Dénivelé positif : 860 m

Bernard nous quitte. Il ne se sent pas d'attaque pour l'étape du lendemain. Il descend sur Bessans. Nous nous retrouvons à quatre dans un refuge bien occupé.

Jeudi 15 Avril :


Du Refuge d'Avérole à Bessans en passant par l'Albaron (3637 m) et le Glacier du Grand Fond

Petit déjeuner : 6 h 00 Départ : 6 h 55. Le ciel est clair, c'est du grand beau temps. La neige est dure, transformée. Nous avalons 500 m de dénivelé dans la première heure. Il faut dire que les conditions sont idéales : une pente régulière à 30° sur 700 m de dénivelé, une agréable fraîcheur matinale, une trace qu'on épouse en pilotage automatique.
Après de longs faux plats, nous atteignons le Glacier de Collerin sous le soleil. Vers 3400 m, un ressaut glaciaire se raidit avec une sortie à 37/38°. Les skieurs de la veille ont décapé la trace de montée : les couteaux s'imposent. Marc préfère éviter les manipulations. Skis sur le dos, piolet à la main, il monte à pied, droit dans la pente.
10 h 30 : Nous sommes regroupés tous les quatre sur la ligne de crête 3450 m. Nous constatons que le versant Nord du Glacier du Vallonnet est vierge. Pour y aller, il va falloir se farcir un kilomètre de traversée horizontale et trouver l’itinéraire dans ce grand glacier bien pentu. Toutes les traces de descente filent du côté du glacier du Grand Fond, vers les Vincendières.
En attendant, nous décidons d'aller jeter un œil à l'Albaron. Puisqu'il s'agit d'un aller-retour, nous allégeons les sacs. Nous abandonnons au bord du chemin tout ce qui n'est pas essentiel. Nous franchissons légers les 200 m de dénivelé restants. Nous plantons les skis au pied de la barre terminale. Une cheminée de 15 m est équipée de cordes fixes vétustes et hétéroclites avec forces nœuds, boucles et amarrages en tout genre. Il n'y a qu'à se tracter jusqu'en haut. Nous débouchons sur le plateau sommital à 11 h 40.
Jacky installe l'assurance et Éric monte, rejoint par un couple. Jean-Michel ne parvient pas à franchir le premier ressaut ; sa longe qu'il a oubliée de démousquetonner après le premier relais, le tire vers le bas. Marc descend en rappel sur la corde amarrée en fixe à la rencontre de Jean-Michel. Jean-Michel regagne le pied de la cheminée, Éric tire son rappel. Jacky jette la corde en bas et désescalade la cheminée pour gagner du temps.
Il faut dire que les nuages arrivent à toute allure. Plusieurs sommets sont déjà dans la chappe. Nous nous activons pour récupérer nos affaires. Le choix est fait : nous descendrons sur Bessans par le Glacier du Grand Fond, là où il y a des traces. Pas question de se lancer en terrain inconnu si la visibilité est incertaine. Trop tard ! La brouillasse couvre déjà le Col du Grand Fond et les cents premiers mètres de ski se font dans la grisaille. La neige est bonne ; nous enchaînons les courbes. Le ciel nous accorde un nouveau répit, le soleil réapparaît. Sachons en profiter.
Les espaces sont immenses. La descente semble infinie. Nous passons directement des champs de poudreuse à de vastes combes où la neige est idéalement transformée. Une neige de printemps, juste décaillée comme il faut par le soleil. C'est jubilatoire ; nous achevons ce raid en apothéose. Nous avons une petite pensée pour Bernard qui nous a lâché hier. Ah ! Il ne sait pas ce qu'il perd !
Patrick Col, le guide local qui a publié plusieurs topoguides dit que cette descente est la plus belle des Alpes. Sans doute est-il un peu chauvin mais c'est sans contexte une des plus belles. Nous allons skier sans interruption de 3620 m jusqu'à la Bessannaise à 1737 m, soit près de 1900 m de dénivelée. 14 h 15 : nous enlevons les skis ; le raid est fini.

Temps global : 7 h 20 Dénivelé positif : 1450 m

Sur la route qui mène de Bessans à Bonneval, nous faisons le pied de grue à l'arrêt de bus. Il n'y aura pas de navette avant 16 h 15. Jean-Michel téléphone à l'office de tourisme pour avoir un taxi… Pas de taxi. Marc fait du stop : il s'agit d'aller récupérer sa voiture qui attend, garée devant le Refuge CAF de Bonneval, à 6 km. Les trois autres, en retrait, roupillent dans l'herbe. Tout le barda : skis et sacs, a été mis hors de vue pour ne pas effrayer le chaland. Les voitures de touristes qui passent, à raison d'une toutes les 5 mn, ne sont pas enclines à s'arrêter. Il faut dire qu'avec ses cheveux hirsutes ; sa barbe de 5 jours et la crème solaire à la truelle, notre stoppeur fait un peu « guenille ». Au bout d'une demi-heure, une voiture met son clignotant. C'est gagné !
15 h 30 : Nous faisons une pause bière à Val Cenis pour arroser la réussite du raid. Le contrat a été rempli au-delà des espérances malgré une météo et une nivologie mi-figue mi-raisin ; les choppes de 50 cl en rajoutent dans la douce euphorie qui nous berce.
17 h 30 : nous nous garons devant la gare de Montmélian. Nous n'avons qu'une voiture: celle de Marc qui rentre sur Chambéry. Chantal a téléphoné les horaires à Jacky : il y a un train à 17 h 47. Sur l'écran des trains en partance, rien ne correspond. À 18 h 10, un train se rend à St Marcellin mais il est annoncé avec 30 mn de retard. Cause : perturbations dues aux grèves des cheminots. Ça sent le roussi ! Du coup, Jacky, Éric et Jean-Michel qui ont déjà payé leurs billets se les font rembourser sur le champ. Nous rechargeons skis, sacs et chaussures dans le coffre. Cap sur le Touvet où Jean-Michel a fixé rendez vous à sa femme. Le temps qu'elle s'extrait des embouteillages de la cuvette, elle vient nous récupérer au Touvet et nous ramène à domicile.

Conclusion

Un raid à marquer d'une grosse croix dans les annales.

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