Vendredi 17 Mai 2002

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Grand Paradis (traversée V.Sella-V.Emmanuel)

      Dénivelé : 1300m      Bon Skieur Alpin


Claude Morand et Henri Vinti


Raid Grand Paradis 17-20 mai 2002 (Pentecôte).

Ce long compte-rendu s'adresse d'abord aux 8 participants mais il pourrait être utile aussi à ceux qui voudraient traverser le Grand Serraz de Sella à Chabod car les topos sont trop imprécis sur les 2 passages clefs.

Vendredi 17 mai: Montée au refuge Vittorio Sella 2588m

Départ à 9h de Grenoble, passage du tunnel du Mont Blanc (31,90 euros pour un aller-retour) et casse-croûte vers 13h à Breuil, au parking de Pont où Henri laisse sa voiture. A 15h on quitte Valnontey, au sud de Cogne sous un soleil trop chaud pour nos habits de skieurs, sur un sentier muletier agréable mais pas balisé (rester toujours rive gauche du torrent de Lauson) au milieu de bouquetins et chamois. On trouve la neige vers 2400m et le refuge est atteint à 18h. Accueil chaleureux de Jean, le jeune gardien, qui me propose spontanément son piolet car j'ai oublié le mien dans la voiture de Charly. Nous sommes les seuls clients en cette veille de mauvais temps annoncé.

Samedi 18 mai: Col du Tuf 3255m BS, dénivelée 670m

Départ à 7h sous un ciel de plus en plus menaçant et sur une neige très humide qui commence seulement à porter vers 2800m. A peine plus haut la pluie commence et décourage 3 poules mouillées (J, S, et C) alors que Charly et Henri persistent, avec raison puisque les gouttent finissent par s'espacer. Au col atteint vers 9h c'est le plafond nuageux descendant qui les poussent à en faire autant jusqu'au refuge. Pluie et neige alternent toute la journée et vers 18h nous avons le plaisir d'ouvrir la porte à Carla, Christian et Patrick, trempés comme des soupes.

Dimanche 19 mai: Traversée du Grand Serre 3553m TBSA bon cru, dénivelée : 950+450m, durée : 10h

Départ à 6h sur une neige durcie en fin de nuit : ouf les peaux pourront donc recoller pour la deuxième montée.

Vers 2900m je trace dans 10cm de neige fraiche. Arrivés vers 3170m au pied du couloir qui permet de prendre pied sur le glacier du Grand Vallon, Charly commence à monter à skis dans 10cm de neige fraiche reposant sur une sous-couche à peine durcie peu rassurante. A pied il enfonce jusqu'aux cuisses même sur un résidu d'avalanche à peine plus dure, et finit par reprendre à skis la trace de Carla qui enchaîne les conversions dans cette pente pas très sure (35 degrés), pour sortir entre 2 corniches. Nous nous sommes largement espacés pour cette montée et les derniers finissent l'ascension alors que je continue de tracer dans 10cm de neige reposant sur une couche un peu plus dure.

Le soleil fait de rares apparitions mais les sommets lointains au sud et à l'est sont déjà pris dans des nuages bien sombres. On quitte les skis au point le plus haut sur l'arête est du Grand Serre 50m sous le sommet, sur une petite plate-forme d'où l'on peut admirer l'immense glacier de la Tribulation. Chacun chausse les crampons et sort le piolet pour la suite. Christian monte sous le sommet en direction d'une large cheminée mais bloque sur une dalle inclinée recouverte de neige, il mettra une demi heure pour rejoindre la trace.

Suivant les indications du gardien je monte en traversée sur la droite en terrain mixte assez incliné (merci pour le piolet, indispensable). On passe à plat ventre à l'horizontale sous une avancée de rocher, puis monte une courte cheminée (3m), bien visible depuis la plate-forme de départ, assez étroite pour m'obliger à pousser le sac et les skis au-dessus de moi. Je suis l'arête neigeuse aérienne vers le nord sur 20m et j'ai le plaisir de trouver la voie de descente, raide mais skiable si ce n'est qu'un rocher au départ empêche de chausser les skis sur l'arête.

C'est possible 5m plus bas sur petite plate-forme abritée sous un gros rocher. Le premier tournant dans cette pente à 40 degrés est exposé, mais la suite se descend bien, toujours avec 10cm de neige fraiche qui part sous les skis, laissant à découvert la sous-couche durcie. C'est naturellement plus délicat pour les suivants. Henri et Sabine profitent de la corde pour descendre la partie raide à pieds. L'étroitesse de la plate-forme de lancement fait qu'il s'écoule une heure avant l'arrivée du dernier.

La descente à skis du glacier du Timoron est très agréable jusqu'au passage évident à 3116m qui permet de basculer sud par une pente raide de 35 degrés sur le vallon du Grand Neyron. Christian attaque en effectuant une traversée chasse-neige et toute la pente est nettoyée de sa neige fraiche humide, laissant apparaître les cailloux à éviter. Il est 13h quand on atteint le point à 3000m au pied de l'arête nord ouest de l'Herbetet.

On remet les peaux et remonte comme des tortues la langue sud du glacier du Grand Neyron, d'autant plus inquiets que l'accès direct au col est nous parait impossible. Tout s'éclaire vers 3300m au point le plus au sud : entre la pente très raide à gauche et le mur de glace à droite, Christian monte dans un large couloir orienté à l'ouest, barré de crevasses, surmonté d'un mur de plaque à vent d'au moins 1,5m, plaque qui a du casser et balayer le couloir, nous ménageant ainsi des ponts sur les crevasses. Christian trouve un passage étroit dans le mur et finit par déboucher sur la crête au point où est situé le bivouac Sberna sur la carte IGN. Pas de bivouac.

Il faudrait un rappel d'au moins 80m pour rejoindre directement le glacier de Montandayné tellement les rochers sont verticaux. Christian suit l'arête ouest vers l'Herbet en contournant quelques gendarmes et après une traversée aérienne au dessus de la pente nord, rejoint une petite cuvette où pointe un piquet indiquant le passage. Effectivement on descend sur le glacier en traversant la pente sous l'Herbetet.

Nous sommes tous épuisés quand on atteint le glacier et nous marquons une pause d'une demi-heure afin de décompresser. Pour la suite de la descente sur le refuge vers 15h50 la neige lourde et la fatigue rendent notre ski bien maladroit. Vers 16h bières/coca/panachés sont grandement appréciés au refuge Chabod 2750m. Moins appréciée est l'odeur des toilettes inondant l'entrée de ce refuge pourtant confortable, et qui abrite cette nuit 40 personnes, toutes partantes pour le Grand Paradis.

Lundi 24 mai: Grand Paradis 4060m BSA, dénivelée : 1300m, durée : 4h

Grand beau pour le départ à 6h sur une neige bien regelée après une nuit étoilée. Montée pénible dès qu'il faut marcher sur les traces de descente de la veille. On monte tout doucement, Sabine fatiguée de la veille décroche rapidement, on l'abandonne sans trop d'inquiétude au milieu de la chenille processionnaire qui s'étire le long de l'itinéraire bien tracé.

Le passage sous la face nord du Grand Paradis toute en glace est grandiose et la sortie à 3750m sous un mur de glace est magnifique. Notre file rejoint la foule montante depuis Victor Emmanuel où 150 personnes ont passé la nuit. A 10h plus d'une cinquantaine de randonneurs se bouscule à la fenêtre de Montroc à 4030m, et trouver une place pour son sac et ses skis n'est pas facile. Il faut jouer des coudes pour pouvoir admirer le paysage vers le nord est (Grand Combin, Cervin, Mont Rose) avec le grand glacier de la Tribulation à nos pieds.

La bousculade sur l'arête pour rejoindre le sommet (mais pas la Vierge) ne décourage ni Carla, dont c'est le premier 4000m, ni Christian, ni Charly qui atteint ce sommet pour la 2ème fois en un mois. La descente est agréable sur neige dure lorsqu'on peut éviter les traces de la veille encore durcie par un vent froid persistant. Vers 11h nous retrouvons Sabine montée courageusement jusqu'au replat à 3800m.

On en en profite pour admirer de haut nos alpes françaises (Viso, Ecrins, Vanoise, Galise, Tsanteileine, Grande Sassière, Mont Blanc, Grandes Jorasses...), des cumulus bourgeonnant envahissent le sud. On sacrifie bien sur à la séance photos, abrégée par le vent froid. La suite de la descente sur neige dure devient de plus en plus agréable avec une fine pellicule de poudre, et vers 3150m c'est le velours de transformée qui nous chatouille les spatules. On passe sous le refuge Victor Emmanuel et continue jusqu'à la limite de la neige skiable. Pique-nique au Chanté à 2340m.

On recharge les mules de tout notre barda pour rejoindre en 1h le parking de Pont par un bon sentier muletier comme il en existe seulement en Italie. Enfin on quitte sacs et chaussures pour savourer Badoit et bières fraîches fournies par notre Henri habituel. Il faut encore 2h aux chauffeurs pour aller récupérer les 2 voitures à Valnontey où rendre le piolet de Jean. Le bouchon à l'entrée du tunnel nous rappelle que nous sommes Pentecôte, si bien que nous regagnons Saint Martin d'Hères vers 21h.

Raid magnifique, alpin un jour, skiant le lendemain, où chacun a apporté sa pierre : son génépi, sa poire, son savoir-faire en conversions en pente raide, son aisance en descente en pente raide, son habileté en, crampons/piolet, son sens de l'itinéraire, son art de la photographie, et tous sa bonne humeur/son bon humour. Pas une plainte dans une étape longue, engagée et difficile, c'est bien le caesug!

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